Couvre-feu éducatif ou Couvre-feu liberticide
Par Emmanuel BROUSSILLON
Les commentaires vont bon train depuis que le ministre de l’intérieur et des Outre-Mer, Gérard Darmanin, en accord avec certains élus, maires et parlementaires, a décidé du couvre-feu pour les mineurs, pour la ville de Pointe-à-Pitre et deux quartiers de la ville de Les Abymes situés à la périphérie de Pointe-à-Pitre.
Il s’agit de l’arrêté préfectoral du 20 Avril 2024 instituant pour les mineurs non accompagnés d’un parent ou d’un adulte ayant l’autorité parentale, un couvre-feu d’un mois reconductible, à partir du 22 Avril 2024, de 20 h 00 à 5 h 00.
Des voix discordantes se sont élevées sur tous les supports de communication médiatique pour désapprouver ou approuver une telle mesure. Des procès ont même été intentés ou seront intentés par des organisations ayant jugé cette mesure liberticide. D’autres voix aussi critiques n’ont pas hésité à parler de discrimination en argumentant que :
- cette mesure touche parfois seulement une fraction de la population d’une même ville
- sur le territoire hexagonal, la France, le couvre-feu a été institué dans certaines villes, mais à partir de 22 h 00, seulement pour les enfants de moins de 13 ans. Ce qui signifie que tous les mineurs au-dessus de 13 ans ont la liberté de circulation la nuit.
Des sociologues et autres universitaires n’ont pas été en reste et l’un d’entre eux a avancé, avec un brin d’ironie : « Il ne s’agit pas de couvrir le feu mais de l’éteindre ». Une citation qui exprime manifestement les reproches le plus souvent entendus contre cet arrêté, pour mettre à l’index les réalités sur la situation sociale et économique de la Guadeloupe. Tout est évoqué en effet : le chômage, le système éducatif, le décrochage scolaire, la législation pour la protection des enfants, le manque de structures pour occuper la jeunesse, la monoparentalité, l’immigration, la mondialisation, la maternité précoce etc…..Autant de permis d’autorisations de vols, d’agressions, de meurtres ou d’assassinats. Curieusement, la responsabilité parentale n’apparaît pas au premier rang du hit-parade, du palmarès.
Et pourtant ! Si on peut comprendre et accepter toutes les causes énumérées, il faut bien entendre et admettre que, jusque dans les années 1970, la Guadeloupe était à l’abri de tous les fléaux que l’on déplore actuellement et qui vont en s’aggravant. La Guadeloupe en était épargnée parce que ce « couvre-feu » était naturellement à l’initiative des parents, sous la forme d’interdits, d’avertissements, de sanctions éventuelles, des familles structurées ou mono parentales qui veillaient à ce que leur progéniture ne soit plus « dehors » à la tombée de la nuit. « Kaw ka fè déwò-la a lèla-sa » ? Il est vrai que cette situation était favorisée par le contexte sociétal, jusqu’à une certaine époque :
- Le mode d’éducation universel dans notre société guadeloupéenne dans laquelle tous les parents avaient le même principe et le même langage éducatifs et étaient respectés par tous les enfants de leur environnement.
- Le règne de la peur chez les enfants de rencontrer la nuit le « diable », le « zombi », ou comme l’affirmaient les parents le « nèg mawon ».
- L’autorité parentale enracinée depuis l’abolition de l’esclavage et non encadrée par la législation excessive
- L’absence de structures et d’associations diverses nécessitant le déplacement des enfants le soir et aussi la participation des parents eux-mêmes pour leur qualité de vie.
Aujourd’hui que la société a évolué avec bonheur vers un mieux-être globalement irréversible, il convient, avant tout, que les parents se responsabilisent en prenant conscience qu’ils restent et resteront toujours les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. Je dis bien éducation car, trop souvent, on a le regret de constater que les concepts « morale » et « conduite » sont incompatibles et que des adultes mêmes commencent par s’excuser en disant : « Je ne veux pas faire la morale mais….. ». Alors oui, la morale ne doit pas être taboue. Il faut l’enseigner, chaque fois que le besoin se fait sentir, aux enfants certes, mais aussi aux adultes. La solution ne sera jamais, des forces de surveillance, même individualisées, des dispositions de répression ou l’emprisonnement.
La société a besoin d’écoles, de centres d’accueil en adéquation avec la longévité, d’établissements hospitaliers et peut-être aussi de centres de redressement éducatifs ou d’éducation à la responsabilité parentale. Certaines générations de parents n’affirmaient-elles pas, sur un ton laconique : « En ké rèdréséw ».
Et pour conclure, pourquoi la France ne pourrait-elle pas s’inspirer des modèles guadeloupéens ? Nous ne sommes plus à l’époque : « Nos ancêtres, les Gaulois »
Propos recueillis DURIZOT Jocelyn