L’ hommage de Raymond BOUTIN à Henri BANGOU pour son centième anniversaire (Extraits)
Parler de l’historien Henri BANGOU constitue pour moi une gageure, car il s’agit de vous entretenir d’une des personnalités les plus connues de la Guadeloupe comme médecin et surtout au titre d’une longue carrière politique.
Nos contacts ont été limités. Et pour cause.
Nous appartenons à des générations très éloignées, les années vingt pour lui et les années quarante pour moi. Je débutais alors dans la carrière de chercheur et je voyais cet homme bien installé, un peu comme un monument de stature impressionnante. Notre seul vrai échange a été épistolaire à la suite d’une causerie que j’avais faite sur la violence et où je démontrais que celle-ci avait toujours été présente et forte dans notre société et qu’elle était parfois pire qu’ à notre époque. j’ai eu droit à un courrier où il me remerciait de porter un regard neuf et historique sur un sujet alors peu étudié.
Raymond Boutin
La place d’Henri Bangou dans notre historiographie.
Cette demande légitime exige le rassemblement de ses articles et ouvrages. C’est un travail de recherche qui nécessite contextualisation, mise en perspective, critiques, il nous a semblé impossible de le conduire dans un temps aussi resserré. La SHG s’y attellera et sans doute publiera un texte dans son bulletin, le plus tôt possible.
La demande d’histoire est forte dans notre pays et le grand public confond souvent l’histoire avec le passé et la mémoire. Le docteur Henri Bangou aborde notre discipline en scientifique. C’est-à-dire en ayant les bases de travail conceptuelles et techniques qui permettent de naviguer dans le flot des documents d’archives. (Ces bases, il a les acquises, si mes renseignements sont exacts en faculté de lettres, tout en suivant sa formation de médecin-cardiologue).
La Société d’histoire de la Guadeloupe
C’est cet homme revenu en Guadeloupe en 1953 qui, dix ans plus tard, à la réunion du 12 juillet 1963 avec d’autres personnes a créé la Société d’histoire de la Guadeloupe Pourquoi ne pas les citer. Messieurs Bellot Galvan, directeur du centre de documentation pédagogique qui siégeait alors au musée Lherminier, Serge Bonne, le vice-recteur de la Guadeloupe, Edgard Clerc qui a déjà beaucoup travaillé en archéologie précolombienne ; Dr André Nègre, Maurice Nicolas, Mario Pétrelluzzi, président, et Webbe Amar.
Le bureau compte une femme, madame Claude Corbin, Henri Bangou est commissaire au même titre que messieurs Edgard Clerc, Jean-Paul Hervieu, Jacques Adélaïde et madame Renée Jeantet..
Le premier article d’Henri Bangou dans le bulletin de la SHG date de 1969 et s’intitule Les origines de la ville de Pointe-à-Pitre. Deux autres suivront en 1970 et 1974.
Cette somme en trois volumes s’inscrit dans la lignée d’Auguste Lacour et d’Adolphe Lara. Elle couvre bien entendu un espace chronologique plus vaste et se situe plus dans la tradition de Lara que dans celle de Lacour. Cette œuvre a été notre bible durant des années, de 1962 aux années 1980
j’ai pris ce temps et j’y ai retrouvé des approches édifiantes toujours d’actualité en cette époque de débaptisation inconsidérée. Il écrivait : La bataille philanthropique de Victor Schœlcher fut une noble bataille et nous devons honorer sa mémoire éternellement …Mais lorsqu’elle aboutit à l’abolition de l’esclavage en 1848, la société capitaliste… avait besoin de liquider l’institution anachronique pour la remplacer par des institutions plus modernes et plus rentables. Et l’auteur d’ajouter : ” du fait de la personnalité guadeloupéenne 1848 ne doit pas avoir à nos yeux la même importance que 1802“
Ce travail comme celui de bien des historiens de ce temps ou d’avant – je pense à Ernest Lavisse ou à Albert Soboul – est une lecture du passé à partir d’un point de vue. Celui d’Henri Bangou c’est le marxisme où il ne s’enferme pas complètement.
Je me souviens de son analyse des sociétés africaines au temps de la traite même si on peut regretter son manque d’intérêt pour la religion et en particulier l’Islam très influent dans ces civilisations. Je pourrais citer l’esclavage dont la vision a été affinée depuis les années 1960.Henri Bangou a par ailleurs publié d’autres ouvrages, ils ne sont pas tous historiques.
J’ai une tendresse particulière pour Mémoires du présent que j’ai utilisé comme source et aussi parce que l’ouvrage manifeste une attitude répandue. Et bien entendu, Mémoires du présent fut une de mes sources pour la compréhension de la société du XXe siècle.
La fonction d’historien d’Henri Bangou a trouvé un terrain d’expression au travers de son action municipale.
La dénomination d’une cité du nom de Louisy Mathieu en est une formulation, la création de la place des martyrs de la Liberté, une autre. Il existe bien d’autres, ce n’est pas ici le lieu d’un inventaire. Ce faisant, l’historien a contribué au travail de mémoire en inscrivant dans le paysage des lieux qui interpellent.
Pour conclure :
Le travail d’historien d’Henri Bangou a quelque peu souffert de son engagement politique, de certaines prises de position et d’une attitude qui consiste dans notre pays à déterminer son comportement et sa réflexion en fonction de son affectivité.
Les désaccords transforment l’intellectuel le plus prometteur, le plus productif en ignare, en incapable, en imbécile tandis que la convergence de vues, souvent temporaire, métamorphose en génie. Nous avons du chemin à faire pour détacher l’œuvre des engagements de l’individu et nous en tenir au dicton populaire « Hay chiyen mè di dan ay blan ».
Durizot jocelyn ( Source Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe N° 194- janvier -Avril 2023)