Les citoyens veulent se reconnaître dans leurs héros. Quand leur champion gagne, sé yo, sé nou, ki ganyé. Sé péyi la ki ganyé ; Nou pwan yo ! Et même, “Gualoupe terre de champions” ! Les superlatifs, comme le souffle, manquent pour exprimer notre joie, notre bonheur et notre fierté de zanfan a péyi la. D’où les nombreux messages de félicitations, non pas à tous ceux qui, qualifiés ont participé aux jeux (car seule la victoire semble belle), mais à ceux qui ont su effectivement triompher.
Comment ne pas avoir une pensée ici de réconfort et surtout d’espoir pour tous ces jeunes, talentueux et vaillants guadeloupéens et guadeloupéennes, qui hélas, n’ont pas pu encore atteindre, à l’instar de Roger BAMBUCK, Marie José PEREC, Laura FLESSEL, Lilian Thuram, ou Teddy RINER, les plus hautes marche de l’Olympe de la planète sport. Il ne faut jamais assassiner l’espérance. Il faut croire en la résilience. Au sursaut salutaire. On pense à ceux qui ayant échoué en individuel se sont rattrapés par équipe comme les Enzo LEFORT ou Jean-Paul HELISSEY au fleuret ou mieux Yannick BOREL et Daniel JERENT à l’épée. On pense aussi fortement au drame qu’a vécu notre champion du monde junior du 110 mètres Haies, Wilhem BELLOCIAN, disqualifié avant d’avoir couru. Mais c’est la dure loi du sport.
Le succès d’hier de nos grands champions ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. On le voit bien dans certaines disciplines comme le cyclisme (un des sports les plus populaires et au fort enjeu électoral)) chez nous, ou par un taux moins important de nos natifs dans l’équipe de France. Si cette défaillance est là, une affaire de génération, c’est surtout aussi une affaire de vision, d’exigence individuelle et sociétale. Car comme l’a déclaré Grégory BEAUGÉ, le pistard médaillé de bronze, pour devenir et rester un champion, il faut un environnement de champion. BEAUGÉ pointait ainsi du doigt la misère des sportifs français en terme de qualité de vie, d’encadrement professionnel, de condition matérielles et financières. Si certains pays mettent en place un écosystème (privé ou public) pour que les sportifs disposent du meilleur environnement possible, ce n’est pas le cas de la France et encore moins chez nous. Le documentaire de Complément d’Enquête diffusé par France Télévison montre s’il en était encore besoin comment sont (mal)traités les sportifs de haut niveau.
Un slogan, même vrai, doit se justifier. En Guadeloupe, si l’on se (com)plaît à arborer la bannière de Terre de Champions, il s’agit d’être constant et créer les conditions objectives de la réussite. Si l’on peut se targuer d’avoir mis en place des pôles espoirs dans la plupart des disciplines, dont bon nombre sont regroupés au lycée du CREPS, les infrastructures ne sont pas au niveau (manque de piscines, de pistes aux normes, de gymnases…). Certains me rétorqueront que les athlètes Jamaïcains s’entrainent sur des terrains démontés et que seule la volonté comptent. Et bien allez dire cela aux footballeurs Islandais qui ont fait sensation au dernier Euro grâce à la construction de terrains couverts leur permettant de pratiquer toute l’année. Evidemment, ce ne sont pas seulement les infrastructures qui comptent, se sont aussi les structures de la base à l’élite. Il faut donc une volonté politique, éducationnelle et sociétale, magnifiée par les médias. Des interrogations ici se bousculent. Quelle prise en charge scolaire et professionnelle des sportifs ? Quid de l’implication du privé par le soutien de mécènes, de fondations et d’entreprises. Celles-ci, même petites, pourraient se regrouper pour prendre en charge un sportif qui promet comme BELOCIAN. En contrepartie, elles pourraient être encouragées par une défiscalisation partielle. Et s’il faut suivre en partie l’exemple Jamaïcain, l’implication de l’école doit être totale pour que le sport ne soit plus la cinquième roue du carrosse. Rêvons d’une société où les éducateurs et professeurs d’EPS transmettent à nos enfants les outils pour être des adultes responsables et respectueux. Remettons les valeurs du sport au cœur de l’innocence morale de nos enfants.
Il faut revenir ici aux cités antiques et particulièrement aux cités grecques qui avaient compris que le sport véhicule des valeurs humanistes dont les bienfaits rejaillissent à la fois sur l’individu et sur la société. La pratique sportive était alors un vecteur efficace d’éducation et d’éveil à la citoyenneté, un outil à fort impact social.
Dépassement, respect de soi, de l’adversaire, des règles du jeu, solidarité, esprit d’équipe, goût de l’effort… ces valeurs sont innées au sport et à la pratique sportive. Cependant si elles sont régulièrement proclamées par une multitude d’acteurs (mouvement sportif, pouvoirs publics, associations, entreprises…), il n’en reste pas moins vrai que les intentions et rivalités des uns et des autres sont bien diverses. Et c’est là que le bât blesse !
La question ici se pose. Dans une société de l’émotion, de la performance divinisée et du spectacle, y-a-t-il encore une place pour l’amateurisme quand de nos jours la compétition se sublime dans la recherche de l’exploit incarné par des supermen et superwomen? Pratiquement plus aucun sportif de très haut niveau qui ne s’entoure d’une structure chargée du marketing de son image, de sa communication, de ses contrats et de ses intérêts financiers. Mais quid de l’instrumentalisation du sport et de l’implication idéologique, politique, politicienne, et économique des acteurs-partenaires ? Où placer le curseur, surtout avec un impérialisme du sport-spectacle business avec des chaines privées et payantes. Les médias citoyens, dont certains politiques s’évertuent à nuire à leur épanouissement, voire à leur survie, doivent être convaincus de leur rôle médias pluriels donc de régulateur. Ils doivent transmettre à tous les niveaux et à la portée de toutes les bourses, les valeurs contagieuses du sport.Mais en ont-ils vraiment la volonté ?
RODES JEAN-CAUDE