Comme il fallait s’y attendre, la tentative de négociation entre le ministre LECORNU et l’intersyndicale de Guadeloupe a tourné court. Il est apparu au grand jour qu’il s’agissait d’une partie de poker-menteur où les enjeux ne résidaient pas dans la conclusion d’un accord ni sur la méthode ni sur les revendications. Chacune des parties, y compris les élus locaux, ont cherché à tirer les marrons du feu autrement dit, à apparaître comme les vrais maîtres du jeu.
Du côté de l’intersyndicale, il ne fallait surtout pas perdre la face. Au moins sur la question de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire d’une part et d’autre part apparaître comme étant le seul interlocuteur de l’État, car disposant seul des moyens de faire durer ou de faire sortir du conflit. Les élus (parlementaires, présidents de collectivités) ont eu beau jeu de jouer leur propre partition qui consiste d’une part à s’exonérer de leurs responsabilités et d’autre part à montrer leurs capacités à porter des solutions. Même certaines forces vives ancrées dans un corporatisme ou un communautariste ont voulu montrer leurs muscles à cette occasion.
Pour le troisième acteur de ce dossier, le gouvernement, dont la priorité en ce moment est à la campagne présidentielle et la vaccination pour tous, il s’agissait à la fois de montrer sa force et sa capacité à rétablir l’ordre, à faire appliquer la loi, à diviser voire à décrédibiliser tant l’intersyndicale conduite par l’UGTG que les élus locaux.
Et on pourrait dire que le match ne se joue pas seulement en Guadeloupe mais également en Martinique. Alors que les revendications étaient similaires, alors que la situation économique et sociale est très comparable entre les deux territoires, alors que la situation chaotique créée par des barrages, des scènes de pillages et les agressions présentait le même visage, la méthode, les actes et les discours du ministre furent singulièrement différents voire même opposés. En Guadeloupe, Sébastien LECORNU a d’abord pris l’attache des forces de l’ordre, puis a posé des conditions préalables à toute discussion avec l’intersyndicale et enfin a renvoyé les élus locaux à leurs propres responsabilités. En Martinique, il a immédiatement adopté la méthode proposée par les élus en accord avec les syndicats. Et le ministre – chef de campagne – les a rencontrés trois heures durant, et a pris en compte les propositions du président de l’exécutif Serge LETCHIMY. Du coup, la situation non seulement se détend en Martinique, mais en plus, l’Etat s’est dit beaucoup plus ouvert à lâcher du lest dans l’île sœur et à prendre des mesures de rattrapage économiques bien plus importantes et plus rapides. De ce fait c’est un véritable piège, machiavélique, qui se referme sur l’intersyndicale en Guadeloupe si un accord général est trouvé en Martinique. Puisque les Guadeloupéens ne comprendraient pas qu’il y ait un retour à la normale là-bas tandis qu’en Guadeloupe les jusqu’au-boutistes nous conduisent dans une impasse. Pour d’autres à un suicide collectif.
Diviser pour mieux régner, on connaît la maxime. Machiavel approuverait, et ce d’autant que le ministre, face à la fronde des syndicats et des élus, a reçu une quinzaine de maires de Guadeloupe ce qui lui a permis de justifier sa « volonté » de négocier.
Mais au-delà de ces considérations de stratégie politique, le quatrième et principal acteur de cette crise continue à boire la tasse. Car en définitive c’est toujours la population qui trinque. Les Guadeloupéens qui, comme nous le disons depuis tantôt, vivent dans la précarité et qui ont du mal à joindre les deux bouts. Et pire la désespérance. Il y a aussi ce déclassement, cette frustration, le ressenti que le pays échappe aux natifs natals. Tant qu’il est vrai que les rênes du pouvoir économique et politique ne sont pas dans les mains de Guadeloupéens comme eux. Frustrations aussi pour ceux qui bien que compétents et volontaires, sont évincés du marché du travail au profit de recrues venues d’ailleurs. Quid ici de ces offres d’emplois d’entreprises et aussi de collectivités locales avec billets d’avions et autres avantages ? Ignorer ce ressentiment c’est passer à côté du fond qui ne peut être pris en compte seulement avec des mesures réglementaires, un cadre juridique ou une évolution institutionnelle.
Sinon, on traitera peut-être la surface du mal, on diminuera la tension sociale mais tôt ou tard, elle s’exprimera de nouveau sous une forme ou une autre. J’avais en 2009 déjà expliqué ce sentiment au ministre de l’outremer de l’époque Yves JÉGO. Il n’y a pas de meilleurs experts de la Guadeloupe que les Guadeloupéens. A condition que nous privilégions la cohérence de nos choix, la responsabilité collective, la transparence dans l’action publique. Nous ne cessons de le dire. Nous préférons le citoyen au militant corporatiste. Cela suppose d’être conscient de la responsabilité que nous avons à travailler pour l’avenir de notre pays, sans attendre éternellement la main tendue, qui peut être de fer ou de velours.
Oui nous voulons plus de Guadeloupe mais cela implique d’abord une totale exigence avec nous-mêmes. Y sommes-nous prêts ?
RJC