Le premier tour des législatives a livré son verdict. Rody TOLASSY du Rassemblement National a viré en tête dans la troisième circonscription. Après le score historique de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, beaucoup s’interrogent sur la nature du vote frontiste chez nous. S’agit-il d’un vote de protestation contre le président Macron ? S’agit-il au contraire d’un vote d’adhésion comme le prétend TOLASSY ? C’est également peu ou prou ce qu’affirme la sociologue Patricia BRAFLAN-TROBO qui explique que ce vote pour Marine LE Pen ne peut pas être le fruit du hasard ou d’une simple conjonction de faits. Il s’agit pour elle d’un vote en conscience que les électeurs Guadeloupéens doivent assumer.
Remontons un peu le temps pour tenter de dessiner les contours de ce vote.
Qu’on se souvienne du score de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle en 2002 en Guadeloupe. Déjà, 2702 voix soit 3 %. Il passait ensuite à 8870 voix au second tour soit 8,7 % ! À cette époque, la pensée de l’extrême droite en Guadeloupe portée notamment par le philosophe Édouard BOULOGNE restait encore confinée dans certains cercles. Quelques personnalités tel l’iconoclaste Prévert MAYENGO, le journaliste-homme d’affaires-turfiste revenu en Guadeloupe fin des années 90, commençaient aussi à médiatiser ce courant d’idées.
10 ans plus tard, Marine LE Pen réalisait sensiblement le même score que son père. 7800 voix soit 5,1 % mais cette fois dès le premier tour.
Mettons-nous aussi en mémoire l’épisode Ibo SIMON qui, en se rapprochant de Jean-Marie LE PEN, avait permis à ce dernier d’élargir sa base électorale. Ibo Simon, populiste et talentueux, homme de radio, puis de télé, allait, avec environ 8600 voix, jusqu’à obtenir deux sièges au Conseil Régional en 1998 ! Car le mouvement d’Ibo Simon avait fait de la lutte anti-immigrés, le pilier de sa campagne, en ouvrant la voie, voire le filon à d’autres, dont Henri YOYOTTE. Lui aussi homme de média ! Pour autant, cette conjonction de forces extrémistes pouvait à la fois attirer pour satisfaire la peur du déclassement, mais également servir de repoussoir par les propos haineux et xénophobes.
Durant la décennie 2000, le mouvement frontiste se cherchait encore une légitimité, évoluant entre les thèses racistes développées en France par le FN et les frustrations générées dans une partie de la population par l’installation de populations venues de la Dominique puis plus massivement d’Haïti et de Saint-Domingue. Le slogan du grand remplacement avant l’heure ! Il est vrai, que ces populations immigrées comme souvent, se retrouvent en concurrence directe sur le marché du travail, sur l’accès aux logements sociaux, sur les politiques sociales, avec les couches les plus défavorisées de la population autochtone. À cette époque, l’organisation frontiste conduite par feu Marc GUILLE, qui fonctionnait jusque-là avec une ancienne garde très typée — essentiellement des métros, des pieds noirs, ou des blancs pays — fortement dévoués à son chef charismatique, J-M Le Pen, commençait à passer la main à des jeunes guadeloupéens, d’origine indienne ou même afro-descendants.
Après les années 2010, les fondements de l’explosion actuelle du vote frontiste, se mettent progressivement en place. Un changement interne avec la stratégie de dédiabolisation du Front National, désormais Rassemblement National, par Marine LE Pen en France. Le changement de visage du RN en Guadeloupe avec des représentants qui n’étaient plus des blancs-blancs. Ceux qu’on qualifiait de postcoloniaux ont longtemps constitué la seule base électorale du Front. Sa particularité était de demeurer invisible, an ba fèy, par peur de représailles ou de stigmatisations. Ce n’était plus le cas avec les nouveaux visages.
Cette stratégie avec un discours plus soft, s’est révélée payante. Aux Européennes de 2014 grâce à une forte abstention, avec seulement 2280 suffrages la liste FN obtenait 8,6 % des voix et sortait en 3e position. Les Européennes de 2019 voyaient même l’élection de Maxette PIRBAKAS comme députée européenne. Il faut dire que la section Guadeloupe du RN avait réussi le tour de force de la placer en position éligible sur la liste du RN grâce à une mobilisation financière très importante, de sorte que, quel que soit son score en Guadeloupe, elle aurait été élue. Mais l’absence d’autres Guadeloupéens en position éligible, a contribué à orienter le vote en sa faveur !
Donc au socle des « historiques », environ 7000 voix, sont venus s’ajouter les électeurs séduits par cette nouvelle génération de dirigeants frontistes conduite par Rody TOLASSY au milieu de la décennie 2010. On pouvait croire au début qu’il s’agissait d’un vote communautariste. La plupart de ces nouveaux sympathisants comme TOLASSY et PIRBAKAS étant d’origine indienne. À l’analyse, il s’agit en fait d’une adhésion socio-économique, désormais désinhibée par la dédiabolisation, par l’accroissement progressif du vote RN et par un militantisme constant. Il s’agissait d’abord de toucher ceux qui étaient sensibles au discours anti-immigrés. Voter Le Pen est une façon pour eux d’exprimer l’inexprimable. Leurs frustrations, le sentiment de déclassement liés à l’implantation et l’emprise économique croissante des Haïtiens « trop visible », notamment dans des secteurs de la production et de la distribution agricoles, du petit commerce et des petits métiers du BTP. D’autres ont surfé sur les problèmes quotidiens des Guadeloupéens non résolus par les politiques en place. C’est le cas de Germain PARAN connu avec la question de l’eau.
En 2022, aux 17,9 % réalisés au premier tour sont venus effectivement s’adjoindre, d’autres électeurs, dont beaucoup d’antivax, qui bien que n’étant pas réellement favorables au discours du RN, y ont vu l’opportunité d’exprimer leur opposition, leur mal-être, engendrés par les politiques menées en Guadeloupe par l’Etat.
L’organisation politique, le travail de fond fait sur le terrain depuis presque une dizaine d’années et surtout le recul des partis traditionnels usés, ont fait le reste. Résultat : les bons scores de Thierry FABULAS dans la 1re et Michel GIRDARY-RAMSSAMY dans la seconde, et bien sûr TOLASSY qui termine en tête dans la 3e circonscription. Il faut reconnaître que la tâche était d’autant plus ardue que la 3e circonscription est une terre historique, un bastion, du nationalisme Guadeloupéen qui a vu émerger de grandes figures des mouvements indépendantistes tel Kanmarad Jean, Père Céleste ou Rosan Mounien avec une forte implantation des syndicats ouvriers et agricoles. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Visiblement cette époque n’est plus et comme la nature a horreur du vide…
Rodes Jean-Claude