Le droit de grève et les autres libertés publiques.

A un moment où le fonctionnement des transports publics est gravement et durablement perturbé par des mouvements de grève en métropole, les usagers de ces transports ont les plus grandes difficultés pour se déplacer, en particulier pour se rendre à leur travail et rentrer chez eux en fin de journée. La question de la place du droit de grève parmi les autres libertés publiques dans notre système juridique mérite donc d’être étudiée.

         Le droit de grève est un droit  à valeur constitutionnelle.  

Selon l’article 7 du préambule de la Constitution de 1946, « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. ». Le  préambule de la Constitution de la 5ème République renvoie à ce texte. Mais un préambule n’est pas la Constitution et la question s’est posée longtemps de la portée juridique du préambule. Le Conseil constitutionnel (CC) a mis fin au débat par une décision du 16 juillet 1971 (n°71-44DC) en admettant la valeur constitutionnelle des principes énoncés dans le préambule.

         Mais il y en a d’autres. La liberté d’aller et venir et la continuité du service public, ont été jugées par le CC comme ayant le caractère de principes de valeur constitutionnelle 2 décisions de juillet 1979 (79-107DC et 79-105D).

Le droit de grève n’est pas un droit absolu.       

Certaines catégories de fonctionnaires n’ont pas le droit de faire grève : c’est le cas en particulier des militaires, des policiers et des agents pénitentiaires.

Certaines formes de grève sont interdites : la grève tournante, la grève perlée, la grève du zèle et la grève sur le tas avec occupation et blocage des locaux de travail.

La grève dans les services publics  mentionnés à l’article L.2512-1 du code du travail est subordonnée à une procédure de préavis de 5 jours francs avec obligation de négocier.

Un service minimum est requis par la loi dans divers services publics : radiotélévision publique, sécurité et navigation aériennes , écoles maternelles et primaires, transport aérien (loi du 19-3-2012), transports terrestres (loi du 21-8-2007 sur le dialogue social…). Cette loi prévoit l’organisation d’un niveau minimal de service en vue de permettre d’éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’accès aux services publics, à la liberté de travail, à la liberté. Belle ambition !

Le droit de grève connaît des limites

L’exercice du droit de grève doit se concilier avec celui des autres droits fondamentaux ainsi qu’avec le principe de continuité du service public, les nécessités de l’ordre public et les besoins essentiels du pays.

Le CC l’a admis dans la décision du 25 juillet 1979 (79-105DC) précisant qu’il appartient au législateur de tracer ces limites.

Le  Conseil d’Etat (CE 12 avril 2013 n° 329570 confirmant et étendant sa jurisprudence Dehaene de 1950) a jugé, après avoir relevé que le législateur n’a toujours pas adopté l’ensemble des règles encadrant l’exercice du droit de grève,  que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels du pays »;

Les mesures de limitation du droit de grève doivent être justifiées par la situation et proportionnées au but atteindre, lequel ne peut être d’assurer le fonctionnement du service comme s’il n’y avait pas de grève.

Exemple de réquisition illégale (CE  9 décembre 2003 n° 262186) : la réquisition par le préfet de toutes les sages-femmes d’une clinique « sans envisager le redéploiement d’activités vers d’autres établissements de santé ou le fonctionnement réduit du service, et sans rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits compte tenu des capacités sanitaires du département ».

Exemple de réquisition légale (CE 12 avril 2013, à propos des grèves dans les centrales nucléaires). La motivation très précise de cette décision juridictionnelle éclaire parfaitement sur les conditions que doivent remplir les décisions limitant l’exercice du droit de grève pour être légales. Le CE relève que la mesure a été prise par les dirigeants « après avoir vainement adressé des sommations interpellatives aux représentants des syndicats de salariés ayant déposé des préavis de grève », qu’elle porte sur des « salariés dont l’intervention était strictement nécessaire à la bonne exécution, pour six des huit réacteurs encore affectés par les mouvements de grève, dix semaines après leur déclenchement et alors qu’ils étaient périodiquement reconduits, des opérations destinées à permettre le redémarrage de ces réacteurs dans les meilleurs délais ». Il constate que « le dispositif contesté, mis en place par la direction de la société EDF …n’a eu ni pour objet ni pour effet de contraindre l’ensemble des personnels concernés à remplir un service normal, mais seulement de répondre de la continuité des fonctions indispensables pour assurer la remise en service des réacteurs arrêtés et éviter, en l’absence de solution alternative, des conséquences graves dans l’approvisionnement du pays en électricité ; » .

Il n’est pas simple de résoudre les conflits entre des droits de même valeur comme le droit de grève et la liberté d’aller et venir. Force est de constater que les dispositions législatives concernant le service minimum dans les transports terrestres ne permettent pas à l’heure actuelle de concilier ces 2 droits fondamentaux. A une époque où les citoyens sont fortement incités, pour des raisons écologiques, à utiliser les transports publics, cette situation est problématique.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Danièle DEVILLERS

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