Une exposition de peinture et de sculpture ayant pour thème le code noir a eu lieu à Bouillante sur le site de l’établissement médico-social MANIOUKANI du 3 au 5 juin.
Cette exposition et la conférence qui s’est déroulée samedi après-midi sur le même site m’ont donné l’envie d’écrire sur le sujet.
Un texte de loi peut-il en lui-même se muer en œuvre d’art ?
L’œuvre d’art étant une œuvre où intervient nécessairement l’esprit de son créateur, la question se pose forcément. Les 60 toiles sur lesquelles Thierry ALET a respectivement écrit les 60 articles du code noir de 1685 forment incontestablement un ensemble esthétique. Ces toiles difficilement lisibles mais chapeautées de petits papiers où est imprimé le texte de chacun des articles constituent un document précieux en ce qu’il amène le public à s’intéresser pour la 1ère fois au contenu d’un texte dont il ne connaissait souvent que le titre et la valeur symbolique. Peut-on parler pour autant d’une œuvre d’art dès lors que le seul apport de l’artiste est de coucher les mots du code sur des toiles qu’il a enduites de peinture et de regrouper harmonieusement l’ensemble ? La renommée ou le talent du plasticien qui reprend un texte sont-ils à cet égard suffisants ? Le texte disparaît-il au profit de l’œuvre d’art ? That’s the question.
Les autres artistes dont les œuvres étaient exposées ont donné leur interprétation de la perception du code noir par ses principaux destinataires, les esclaves ou plus simplement aussi leur représentation de la souffrance de l’esclave.
Ainsi Pascal Foix a-t-il réalisé une œuvre forte, à la fois synthétique et sobre, où les couleurs noire et rouge évoquent le sang versé par l’esclave noir et une chaine de métal la privation de liberté.
Les sculptures de résine ou de ruban métallique de François Piquet expriment la douleur insupportable des êtres qu’il représente ; on en a la chair de poule.
D’autres peintres mettent en scène avec talent les blessures des corps par le fouet ou le fer.
On aime ou on n’aime pas, c’est une affaire de goût, mais ces réalisations sont indubitablement des œuvres d’art.
Il est dommage que cette exposition particulièrement riche n’ait pas été vue par les élèves des écoles, les collégiens, lycéens et étudiants. Elle était pour les enseignants une occasion unique d’aborder une page de l’histoire de la Guadeloupe, celle de l’esclavage, et d’étudier l’œuvre juridique qu’est le code noir dans ses deux versions de 1685 et 1724 respectivement. Pour se tourner vers l’avenir, il est nécessaire de connaître son passé…Voilà une occasion manquée. Quel dommage !
Le 1er code noir a été promulgué en mars 1685 par le roi Louis XIV. Il s’inscrit dans le contexte de la révocation de l’édit de Nantes en octobre 1685 et il constitue sans aucun doute la plus grande erreur commise par le Roi Soleil durant son très long règne. Il est marqué par la domination de la religion catholique apostolique et romaine (RCAR) aux détriments de la religion prétendue réformée (RPR) et des juifs, ces derniers étant sans ambages chassés des îles.
Ce code, dans son principe même, est une monstruosité en ce qu’il justifie le système de l’esclavage et en ce qu’il repose sur l’affirmation que les esclaves noirs sont des biens meubles, des marchandises comme des animaux ou des objets.
Il est entaché de contradiction interne en ce que tout en traitant les esclaves comme des marchandises, il leur reconnaît un minimum de personnalité leur permettant d’être baptisés dans la RCAR, de se marier, et surtout de subir des interdits et d’être condamnés.
Marqué par l’influence du catholicisme et l’aspect moralisateur de cette religion, il comporte néanmoins des dispositions protectrices de l’esclave que l’honnêteté intellectuelle ne permet pas de nier même si on peut douter de leur bonne application et qui expliquent peut-être en partie au moins l’adhésion des philosophes et surtout de l’Eglise.
Cet édifice juridique qui n’honore pas la France monarchique, impériale ou républicaine, en dépit d’une certaine intention d’améliorer le sort des esclaves aura été appliqué pendant plus d’un siècle et demi. Il sera aboli par le décret d'abolition de l'esclavage signé le 27 avril 1848 par le Gouvernement provisoire de la deuxième République.
Sans l’appui du pouvoir politique par le pouvoir religieux, le code noir n’aurait probablement jamais pu voir le jour ni surtout perdurer. Il est dès lors surprenant que la contribution de la religion catholique à l’élaboration de cet édifice n’ait jamais été dénoncée par les descendants des esclaves et que ceux-ci ne se soient pas détournés de la religion.
Danièle DEVILLERS