La publication attendue de l’ordonnance de non-lieu dans l’affaire de l’empoisonnement à la Chlordécone par les juges du pôle santé du tribunal de Paris a mis un terme aux 16 années d’instruction. En conclusion du jugement, les magistrates précisent : « Le souci des magistrats successifs qui ont eu à connaître de ce dossier a été la manifestation de la vérité en recherchant les éléments qui en feraient une vérité judiciaire. À l’issue, pour des raisons de droit et de fait qui sont exposées dans cette ordonnance et résumées ici, il n’a pas été possible de caractériser une infraction pénale qui aurait pu justifier le renvoi d’un ou plusieurs responsables devant une juridiction de jugement des affaires pénales. Les parties civiles et leurs conseils jugeront, après lecture de l’ordonnance si les obstacles ici résumés sont dirimants ou s’ils peuvent être écartés par une juridiction d’appel ».
Autrement, le tribunal indique son impuissance à juger, avec les lois existant à l’époque, les faits qui sont poursuivis. Il précise plus haut que le fait écologique était minoritaire à l’époque, que la loi pénale de l’époque n’était pas adaptée pour sanctionner ce type de fait, que les juges bien qu’ils disposent d’une certaine latitude, ne peuvent aller aussi loin dans leur interprétation. Et bien qu’au cours de l’instruction, ils aient constaté l’ampleur de la pollution, les graves conséquences qu’il en ressort sur la santé humaine, la flore et la faune, il leur est impossible d’appliquer des textes qui, en plus, ont évolué avec le temps. Circulez, il n’y a personne à punir ni à porter le chapeau !
Autrement dit, oui la pollution est avérée, l’empoisonnement est massif, se poursuit même, mais personne en particulier ne peut être poursuivi. Les cancers de la prostate battent tous les records mondiaux, mais c’est la faute à pas de chance. Le jugement invite même les avocats à s’en remettre à de plus hautes juridictions. Cela devient malheureusement une constante dans les scandales sanitaires. On apprend par exemple que le procès dans l’affaire du Médiator qui avait vu la condamnation du laboratoire Servier, va reprendre à zéro. Et des scandales sanitaires ayant entrainé la maladie, le cancer ou la mort, ou en lien direct avec la santé, mais également avec l’environnement, il y en a eu sous la république. Pour ne citer que quelques-uns : le scandale du Distilbène, un traitement ayant provoqué des malformations génitales chez les enfants ; le scandale de de la maladie de Creutzfeldt-Jakob avec la mort directe de 111 personnes ; le scandale du sang contaminé, suite à la distribution de lots sanguins infectés par le virus du SIDA ; le scandale de l’amiante, dû à son utilisation en connaissance de sa dangerosité- le scandale de l’Isoméride, un coupe-faim engendrant de graves problèmes de santé.
Quant aux scandales des essais nucléaires avec toujours de mortifères conséquences, n’en parlons pas. Responsables mais pas coupables et ce d’autant que les responsables coupables sont morts ou ont fait faillite. Ce qui loin d’être le cas aux Antilles concernant la Chlordecone qui touche plusieurs générations. Mais, il faut dire qu’actionner le levier judiciaire n’est jamais suffisant pour faire reconnaître, poursuivre et sanctionner les pollueurs. Le poids de l’opinion publique et la pression médiatique peuvent et doivent également faire pencher la balance ou tout au moins parvenir à mettre à jour les pratiques délictueuses, à acculer les pollueurs et ceux qui ont en profité à assumer leurs responsabilités. Car il faudra bien rechercher tous les profiteurs pour qu’ils payent le prix de leur avidité en espèces sonnantes et trébuchantes. Le manque de connaissances scientifiques de l’époque ne saurait tout justifier. Trop simpliste ! Certains savaient pertinemment que les produits qu’ils distribuaient ou qu’ils répandaient dans les champs étaient nocifs pour la santé humaine. Mais l’attrait du profit, la facilité d’exploitation que procurait le Curlone étaient bien plus forts.
Du coup, notre population, notre opinion publique a pris du temps à comprendre l’ampleur des dégâts. Et il a fallu attendre une bonne quinzaine d’années pour qu’elle commence à s’intéresser vraiment au sujet. Et il faut le dire, la réaction a été bien plus forte, organisée et massive en Martinique qu’en Guadeloupe. Peut-être est-ce le fait que tout le territoire martiniquais est concerné, alors que seules les terres de la Basse-Terre (et singulièrement du sud Basse-Terre) étaient principalement impactées. Et jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de réactions de contestation populaire. Est-ce un sentiment d’impuissance ? Est-ce un relent de culpabilité ? Est-ce la marque d’une certaine résignation face à la longueur des procédures ?
Et c’est ici, que la responsabilité de l’État prend toute sa mesure. Car des services entiers des administrations ont permis, ont facilité, cette pollution en fermant les yeux, en évitant de trop contrôler, face à la pression économique exercée par le lobbying des puissants importateurs et distributeurs des produits. L’État qui se trouve juge et partie dans cette affaire. Car c’est également l’État par le biais des parquets, censés représenter et défendre la société, qui a traîné et quelques fois entravé l’action des associations, là on attendait une attitude ferme, pro-active et vigoureuse vis-à-vis des pollueurs. Pour autant, tout espoir n’est pas perdu, même sur le plan judiciaire. Mais cela ne peut véritablement aboutir que si la mobilisation demeure ferme, que si tous unis, nous nous arc-boutons pour défendre nos intérêts. Dire que la souffrance, la mort des nôtres, ne peuvent être sacrifiées, à l’aune d’un texte de loi mal rédigé ou d’une procédure mal engagée.
Pon di sou pa pèd.
Rodes Jean-Claude