IVG, de l’interdit à la sacralisation. Un demi-siècle d’histoire

En décembre 1973, un 1er projet de loi autorisant l’IVG en cas de “risque pour la santé physique, mentale ou psychique de la femme, d’un risque élevé de malformation congénitale ou d’une grossesse consécutive à un acte de violence” fut soumis au vote de l’Assemblée nationale (AN)  par Michel Poniatowski, ministre de la santé publique et de la sécurité sociale du gouvernement de Pierre Messmer, sous la présidence de Georges Pompidou. En dépit du caractère très restrictif  des conditions auxquelles était soumis le recours à l’IVG, le projet fut rejeté par 225 voix contre 212. C’était trop tôt, les mentalités n’étaient pas prêtes à ouvrir la boîte de Pandore.

Un an plus tard, sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing, le projet de Simone Veil, ministre du gouvernement de Jacques Chirac, visait à dépénaliser l’avortement ; il était moins timide que celui du précédent gouvernement quant aux conditions prévues pour recourir à l’IVG mais en restreignait quand même l’usage aux cas de détresse avérée. Cette prudence fut payante. Le projet recueillit 284 voix pour et 189 voix contre à l’AN en 1ère lecture, 185 voix pour et 88 voix contre au Sénat. En seconde lecture à l’AN, sur 469 suffrages exprimés, la majorité absolue étant de 235, il fut adopté à 277 voix contre 192. Sur les 4 députés de la Guadeloupe qu’étaient alors Raymond Guillod, le docteur Léopold Hélène, Hégésippe Ibéné et Fréderic Jalton, seuls les deux derniers cités votèrent le texte. C’était le temps des hésitations.

En 2024, sous prétexte que le droit à l’IVG pourrait être remis en cause un jour par des forces politiques obscurantistes se hissant au pouvoir, il est apparu prudent de le protéger,.. j’allais dire sacraliser. Le projet de loi visant à inscrire dans la Constitution, à l’article 34, lequel énumère les matières qui sont de la compétence exclusive de la loi, les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de recourir à l’IVG, est adopté par Parlement réuni en Congrès à une très forte majorité : 780 voix pour,  72 voix contre et 50 abstentions. Les 48 élus d’Outre-mer ont été particulièrement favorables au texte : il n’y a eu que 2 voix contre, une abstention et un défaut de participation au suffrage. En Guadeloupe, le vote des 4 députés et des 3 sénateurs a même été unanime ; l’enthousiasme de la représentation nationale pour la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG ne connaît pas de limites ni de réserves en dépit du fait que le recours à l’IVG est plus de 2 fois supérieur à la moyenne nationale, ce qui pose tout de même diverses questions à commencer par celle de la place de la contraception, la grande oubliée des débats.

Au fond, ce qu’il faut retenir de la révision de la Constitution par la loi du 8 mars 2024 n’est-ce pas que son adoption fut un jeu d’enfants ?  Si un jour, un gouvernement veut restreindre la liberté de recourir à l’IVG ou n’importe quelle autre liberté reconnue par la Constitution, pour peu que les mentalités aient changé, il n’aura pas plus de difficultés à le faire que le gouvernement actuel n’en a eues. C’est cela qu’il faut craindre.

Danièle DEVILLERS

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