Comme toute évocation du passé, qui a engendré un préjudice, une mémoire douloureuse, honteuse chargé de ressentiment et de violence, la commémoration est soumise au travail de mémoire, d’introspection, d’auto-analyse et donc au débat.
Nous sommes pour le débat ! A la nécessité de commémorer et quoi de plus naturel, est venue par la suite la revendication de la réparation. La question, et nous ne cessons de le dire ainsi que nos lecteurs au travers de tribunes libres, est de savoir de quelle nature peut être ce préjudice ? Morale ? Financière ? Humanitaire ? Politique ? Que faut-il réparer ? Comment réparer ? Sous quelles formes? Qui faut-il indemniser ? Combien y-a-t-il encore à indemniser, jusqu’à quand… ?
Ce n’est pas propre au droit français. C’est une question d’équité et de justice. Chaque faute créant un préjudice devrait entrainer la réparation du dommage subi. Autre question pratique. Faut-il indemniser individuellement chaque fils de descendant d’esclave, en faisant abstraction de son degré de métissage, le temps passé par ses ancêtres sous le joug de l’esclavage, de leur participation à l’émancipation, ou leur degré de complicité avec le système. Comment indemniser ceux qui ayant été esclaves sont eux-mêmes devenus propriétaires d’esclaves. Posé le débat en ces termes, ce serait ouvrir la porte à l’impossible réparation. Si certains comme Césaire ont évoqué l’impossibilité de réparer un crime aussi grand, d’autres comme Fanon dans peaux noires et Masques blancs refusent toutes réparations au nom d’un idéal humain «Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle? Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la culpabilité dans les âmes? La douleur morale devant la densité du passé ? Ce fut également l’approche de Nelson MANDELA qui en créant la commission «Vérité et réconciliation» a exigé un effort de surhumanité aux Sud-Africains — surtout aux noirs — afin de ne pas fermer l’avenir du pays. C’est également le cas de la théorie du colorblindness en vogue à la Cour suprême des Etats-Unis qui tend à l’indifférence de couleur de peau. Chak moun sé on moun.
Le pragmatisme est une question de faisabilité. Il est plus aisé d’indemniser des états devenus, avec des préjudices subis objectivement identifiables. C’est le cas d’Haïti qui a été spolié par la France de milliards en pièces d’or. C’est le cas après la seconde guerre mondiale, du gouvernement allemand qui a ainsi payé environ 60 milliards de dollars à l’État d’Israël et aux victimes de l’Holocauste. C’est en ce sens que les tenants de la réparation financière, particulièrement dans la Caraïbe, justifient la nécessaire compensation du fait des retards de développement subi par leur pays.
A ce titre, de nombreuses initiatives tant internationales (commission réparation du CARICOM à New York avril 2015, dont nous publions en page 12 le plan de réparations en 10 points) et nationales (Colloque sur les réparations à la cité de l’immigration le 4 Mai 2015) posent explicitement la question des réparations sous l’angle de la compensation financière en réparation du préjudice subi.
Venons-en au cas des territoires qui ont intégré l’ex-pays colonisateur. Qu’en est-t-il ou plus précisément quelle peut être la nature de la réparation quand le territoire n’est pas indépendant ? Et en ce qui nous concerne, ne convient-il pas ici de s’interroger, d’analyser plus sereinement, l’effet des politiques institutionnelles mises en place par la république française dans ses anciennes colonies. En quoi le processus de départementalisation initié en 1946 a-t-il contribué à réparer financièrement, comme le pensent certains, le préjudice subi par nos îles ? Ou, ne doit-on considérer cela que du seul point de vue Français c’est-à-dire comme des actions au bénéfice de n’importe quel citoyen ou région française ? Car pour réparer il faut faire plus que la norme.
On l’a bien vu avec le film de René Bélénus sur la départementalisation et l’égalité réelle, et ses biens faits supposés ou visibles ! La départementalisation pour ceux qui l’ont proposée devait permettre d’éradiquer la misère latente évoquée par les chroniqueurs de l’époque. Cette dynamique républicaine était-elle conforme aux espérances des pères fondateurs de la départementalisation ?
Serions-nous devenus des nantis de la Caraïbe, comme le pensent de nombreux dirigeants caribéens ? Si on se conforme à l’Indice de Développement Humain cette revendication d’assimilation placée dans le prolongement de l’idéal égalitaire exprimé déjà depuis le combat des libres de couleur du strict point de vue des indicateurs économiques la départementalisation a répondu en partie surtout sur le plan social (mais non économique) aux attentes de ceux qui la réclamaient, et a conféré à nos départements des infrastructures de bien meilleure qualité.
Etait-ce pour autant une réparation financière ? Soyons clairs. Les réparations financières ou matérielles, si nécessaires soient-elles, ne pourront solder le compte de nos rages et ressentiments accumulés. Elles n’auront pas non plus, l’effet “Reset” escompté pour nous permettre de repartir vierge avec un nouveau récit plus narcissique. Bien au contraire elles peuvent créer les conditions de la discorde et instrumentaliser le passé pour diviser comme le pense, selon un sondage de 2013, 93% des Africains-Américains.
Esclavage et réconciliation. On ne bâtit pas sur des blessures. On ne construit pas avec du ressentiment. Jocelyn DURIZOT ne cesse de le dire. Les enfants des descendants d’esclaves, comme ceux des esclaves ne sont pas comptables d’une histoire qui a déshumanisé leurs pères.
C’est dire que la juste réparation sera d’une grande exigence, toujours en construction, avec des hauts et bas, car elle n’est pas transactionnelle. Vérité et lucidité présideront à cette exigence. Il faudra tout se dire avec lucidité. Et chacun devra pouvoir assumer sa propre vérité historique et pas celle souvent idéalisée pour convenances personnelles. L’histoire en effet a ses pièges. Notre devenir c’est tiré pyé an nou an vyé soulyé !
Il faut donc bâtir ensemble, plus fraternellement et autrement pour écrire une autre histoire, celle de l’excellence. Pas uniquement avec l’unique descendance des maîtres ou des afro-caribéens, mais avec toutes les diasporas qui depuis 1850 sont venues chez nous. A la quête d’une nouvelle espérance. Pour que, sur le marbre du sucre à coco qu’est la vie, nous mettions dessus on piti têt roz.
RODES Jean-Claude