Bien avant la crise sanitaire, les manquements lourds de l’Etat chez nous, mais aussi de nos collectivités, jettent une lumière crue sur l’action publique. Il n’en reste pas moins vrai que lorsque des crises s’ajoutant à d’autres crises, on se retourne généralement vers l’État. L’Etat dit stratège. C’est d’ailleurs dans ces moments-là, ou à la vieille d’enjeux électoraux, que se révèlent les états forts ou faibles, visionnaires ou efficaces, parfois inexistants ou démissionnaire.
Mais la vraie question n’est-elle pas selon qu’on soit un petit ou grand territoire, une collectivité riche ou impécunieuse, de s’entendre sur les périmètres qu’on concède à L’Etat.
En effet, les collectivités (région, départements ou communes) et mêmes certains citoyens, ont du mal à s’entendre sur le périmètre et le dosage (trop ou pas assez.) d’intervention de l’Etat. Dans la perspective de réduction ou d’augmentation des missions de l’Etat, le problème est de savoir qui peut en termes de compétences, mais aussi de moyens rendre la vie des citoyens plus agréable. Selon qu’ils vivent sur un territoire n’ayant aucune ressource ou au contraire qui bénéficie de rentrées fiscales abondantes et d’une activité économique florissante.
Mais qu’en est-il quand le financement est croisé, et que sans l’aide de l’État arbitre, on est condamné à l’immobilisme. La question de la répartition des moyens et des dotations pour assurer aux citoyens l’accès égal à un service public de qualité est centrale. La devise républicaine ne peut être uniquement déclarative avec des citoyens relégués à la marge, de deuxième ou troisième zone ? C’est le cas dans les cités de Marseille, des banlieues parisiennes et surtout chez nous avec la précarité chronique.
Il n’a pu échapper à personne que l’Etat renationalise le RSA en Seine Saint-Denis. Le premier ministre a inscrit cette mesure au budget examiné en octobre prochain et dans la loi 3DS qui sera présenté en décembre.
On pourrait trouver incongru cette annonce puisque lorsque le financement du RSA avait été confié aux Départements dès sa mise en place en 2007, l’Etat avait promis un remboursement à « l’euro près », grâce une nouvelle taxe sur les revenus du capital et du patrimoine.
Mais la hausse régulière du nombre d’allocataires a fini par plomber les finances des Conseil Départementaux, surtout les plus pauvres ou du moins ceux où vivent les populations les plus modestes. Et c’est bien évidemment le cas de la Guadeloupe et des autres DOM.
Le reste à charge est de plus en plus important. L’ancienne présidente du Département, Josette BOREL-LINCERTIN n’avait eu de cesse de réclamer la reprise du financement du RSA par l’Etat. Et même de revoir ses compétences puisqu’elle participait au développement économique et pas seulement social En effet cette charge pesait de plus en plus sur son budget. En 2019, avant la crise Covid, c’est plus de 71 millions que le Département a dû sortir de ses caisses pour payer le RSA qui représentait au total 270 millions en 2020.
Autant dire que cette nouvelle de la reprise en compte par l’Etat du reste à charge pour le département de la Seine Saint-Denis doit donner quelque espoir ici en Guadeloupe, où la proportion d’allocataires du RSA est bien plus élevée. D’autant que cette mesure est déjà en œuvre en Guyane, à Mayotte et à la Réunion. Il est temps que l’Etat envisage un véritablement plan de remise à niveau de la Guadeloupe sur le plan sanitaire et social. C’est en grande partie de sa responsabilité. Cette situation sociale catastrophique en Guadeloupe où tous les critères sont au rouge (pauvreté, chômage, illettrisme, inégalités…) engendre toute une série de déviances sociales, de la délinquance aux maladies chroniques. Car ici tout est lié.
Nous ne sommes pas au Progrès Social pour l’assistanat, loin s’en faut, mais l’Etat doit s’assurer de l’accès égal de tous ses citoyens au même niveau de service public. Comme le montre la récente enquête de l’INSEE « santé européenne », la densité médicale en Guadeloupe est très largement inférieure à celle de l’Hexagone. Au point qu’il ne faudrait pas moins de 360 à 400 médecins supplémentaires (toutes disciplines confondues) pour atteindre la moyenne française.
Je n’évoquerai même pas ici l’état délabré de la santé mentale en Guadeloupe. Et bien sûr, tout cela sans tenir compte de notre insularité. On ne nous fera pas croire ici que la mise en service du futur CHU résoudra tous ces problèmes. Car le fait est que cette faible densité médicale persiste depuis plusieurs décennies sans que l’Etat n’y ait jamais mis des moyens pour nous faire rattraper notre retard. Et pourtant la santé est une compétence quasi-régalienne. Il en est de même pour l’illettrisme et la faiblesse de la formation de notre jeunesse. L’Éducation Nationale est une prérogative de l’Etat. Pourtant la Guadeloupe, demeure et s’enfonce même dans tous les classements idoines. Bien que l’on subisse les conséquences de ce faible niveau de développement, on n’en mesure jamais l’impact global sur des générations. La délinquance, les violences conjugales, les suicides, les pathologies comme l’obésité n’en sont que les formes immergées.
Ces deux exemples en effet, qui ont de profondes répercussions à la fois sur la santé et le niveau d’éducation des Guadeloupéens, ne sont en rien liés à la crise sanitaire. Mais celle-ci risque fort d’amplifier ce décrochage général de notre territoire. Et tant bien même que nous ayons notre part de responsabilité (Aide-toi, le ciel t’aidera), il n’y a jamais eu une véritable volonté de l’Etat de rétablir ces déséquilibres qui sapent tout développement à long terme. Il s’agit en réalité d’une gestion à la petite semaine qui consiste à maintenir un minimum de services, à faire en sorte que nous demeurions toujours dans le bas du classement, toujours les laissés pour compte, les « dènyé dègré » de la France. Juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans le sous-développement du Tiers-Monde. Car cultiver l’excellence cela consiste bien à promouvoir la réussite. Et si la réussite est toujours de l’autre côté de l’Atlantique, difficile pour ceux d’ici de rêver, de s’imaginer au faîte du succès.
Cela se traduit malheureusement dans les chiffres et dans la manière même de gérer notre territoire. Et quand à tout cela vient s’ajouter la pègre du populisme le plus vil, les résultats ne peuvent surprendre.
Si tout espoir n’est pas perdu, quand il s’agit d’un pays et d’un peuple, on ne peut plus se permettre de se hâter lentement. Comme dab ! Car si tout espoir n’est pas perdu, le temps presse.
Rodes Jean-Claude