Avec les îles du Nord, la Guadeloupe, et la Martinique, la France, par la force des choses, est présente dans la Caraïbe. En plus avec Haïti, notre région compte près de 10 millions de francophones (et un peu plus de créolophones avec la Dominique et Sainte Lucie). Plus de huit ambassades (Cuba, Haïti, la Jamaïque, la République dominicaine, Trinidad-et-Tobago, Sainte-Lucie (compétente pour les 6 pays de la Caraïbe Orientale et la Barbade), Panama (compétente pour les Bahamas) et le Suriname (compétent pour le Guyana) assurent la présence régalienne de la France dans la zone.
Beaucoup d’observateurs et de militants — pas forcément tous autonomistes ou indépendan-tistes — n’ayant aucune idée de kaskòd avec l’Etat français — se sont interrogés sur ce qui relevait soit du domaine exclusif de l’Etat avec nos voisins, soit du domaine partagé, ou de la volonté unilatérale des collectivités françaises lorsqu’elles n’ont pas les mêmes intérêts que la France notamment en matière de pêche, d’im-migration, de coopération douanière, de négativ list etc… A noter par exemple qu’en matière de coopération régionale, la France est représentée tant auprès de l’Organisation des Etats de la Caraïbe orientale (OECO, à Castries) et de la communauté des Caraïbes (CARICOM, à Paramaribo), que de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC, à Port-of Spain), dont elle est membre associé au titre de la Guyane, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Mais aussi par le biais de la Martinique et la Guadeloupe qui ont rejoint l’AEC en qualité de membres associés en avril 2014 ou encore par la Martinique membre de l’OECO (OECS en anglais) depuis 2016.
Nous avions déjà eu à déplorer que lors de ces rencontres internationales (politiques, sportives ou culturelles), que la Guadeloupe ne dispose pas de sa bannière, d’un emblème en propre, même à côté du drapeau tricolore et du drapeau européen. Ne serait-ce que pour se distinguer d’avec la Martinique. La Région à ce titre devrait mettre tout le monde d’accord en créant un drapeau qui serait celui de tous les Guadeloupéens, et pas celui d’un clan ou d’un parti.
Si la République est une et indivisible cela ne veut pas dire que les territoires français frontaliers en Europe aient partout les mêmes intérêts. Ici où là, des politiques spécifiques, plus adaptées et mieux autocentrées sont mises en place. Il doit en être de même pour nos territoires dans la Caraïbe et singulièrement pour notre archipel.
Pourquoi ne pas partager certaines compétences, surtout si nous pouvons faire mieux pour nos populations et le rayonnement de la Répu-blique ? En matière de santé, d’apprentissage, de formation, d’exportations de nos entreprises, là, comme les autres territoires français de la zone, nous avons nos cartes spécifiques, d’autres diraient “nationalistes”, à jouer.
La Guadeloupe n’est pas la Martinique et encore moins la Guyane. Si en matière culturelle et sportive, nous sommes relativement bien acceptés par nos voisins, ce n’est pas le cas en matière économique et financière. A cause de notre statut de territoire non indépendant certains nous considèrent purement et simplement comme le cheval de Troie des entreprises françaises et européennes. Mais la Guadeloupe si elle a des amis, a surtout des intérêts. Aussi devons-nous faire fructifier nos interventions dans la Caraïbe en matière humanitaires, scientifiques, culturelles, mais également celles de la France en matière de défense, de sécurité civile, militaire et douanière, de santé et de recherche. Rappelons par exemple, la place donnée à la créolité dans le bassin Caraïbe avec le programme “visas pour la création” de France Culture en Haïti, à la fête de la musique et à la Semaine de la France en République Dominicaine. La Francophonie aussi est un vecteur important de relations et d’échanges culturels puisque, Haïti, Sainte-Lucie et la Dominique sont membres de l’OIF.
En matière de sécurité, la France apporte son appui à la lutte contre la criminalité et les trafics de drogue notamment au travers de l’ALCORCA. Doté d’un million d’euros et de plusieurs experts en sécurité mis à disposition de St-Domingue, de Cuba, de la Jamaïque, il vise à faciliter la mise en réseau des forces de sécurité et des systèmes judiciaires des pays de la région.
Par ailleurs, la France, lors de sa présidence de la COP21, a entretenu un dialogue étroit avec les pays des Caraïbes, qui se sont unanimement mobilisés en faveur d’un accord ambitieux pour la lutte contre le changement climatique.
Les petits Etats insulaires, très peu émetteurs de gaz à effet de serre, comptent parmi les zones les plus vulnérables à ces bouleversements. Tous sont membres de l’Alliance of Small Island States (AOSIS), groupe de négociation au sein des Nations unies. De plus, face au risque de catastrophes naturelles (ouragans, séismes, tsunamis, éruptions volcaniques) auquel sont confrontées les Caribéens, la France privilégie une logique de prévention. Elle pilote notamment l’initiative CREWS (Climate Risk Early Warning Systems), en lien avec trois partenaires européens et l’Australie. La France est également signataire de la convention de Carthagène pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes. Elle finance à travers l’AFD des études pour l’exploitation des ressources géothermiques de la Dominique, Saint-Kitts & Nevis et Sainte-Lucie.
La santé est également un secteur clé de la coopération française. Elle reconstruit et restaure dans ses fonctions de centre médical de référence du pays, l’hôpital universitaire d’Etat d’Haïti, détruit par le séisme en 2010. Elle a également construit et équipé un centre de cardiologie à Saint-Domingue, le CEDIMAT.
Tout cela pour dire, que de toutes les interventions régaliennes, stratégiques ou non, de la France dans la Caraïbe, la Guadeloupe (en tous cas ses dirigeants) en est exempte. Expliquer le mal, c’est expliquer le scandale (karl Barth) Tout cela doit changer. Car nous ne pouvons plus être un objet non identifié dans la Caraïbe. Nous avons des atouts. Nous avons des intérêts à faire valoir. Nous voulons nous aussi en tirer profit. C’est ce que doit permettre une réelle coopération régionale dont la France elle-même serait à bien des égards la première à en bénéficier. De Gaulle a raison la politique n’est rien d’autre que l’art de la réalité.
Rodes Jean-Claude.