LPS : Vous avez été nommée directrice de notre ARS dans un contexte qualifié, par les ministères, de « crise ». Dix-huit mois plus tard, la crise sanitaire est encore au premier plan. Une crise qui dure ou qui se répète, est-ce vraiment une crise ? Comment faites-vous la part du conjoncturel et du structurel ?
Valerie DENUX : L’incendie du CHU représente évidemment une crise inédite. Ceci étant aujourd’hui nous ne sommes pas dans une crise chronique ou qui se répète mais bien dans la gestion des conséquences de la crise initiale suite à l’incendie. Ces conséquences sont d’autant plus importantes qu’avant l’incendie le CHU posait déjà des difficultés comme cela avait été mis en avant par plusieurs experts. Ceci signifie qu’il faut mettre en œuvre des actions correctrices immédiates mais aussi profondes. Il a toujours été dit que le point de stabilisation serait atteint en 2020. Nous serons ensuite dans une phase de transition vers le nouveau CHU où il faudra en profiter pour améliorer les organisations, notamment en rompant avec les dysfonctionnements anciens.
LPS : Malgré vos déclarations pour accompagner le CHU, son rétablissement tarde, et le conflit social et actuel trouve ses racines dans des conditions insatisfaisantes dans le service des urgences et à la maternité. Le plan qui a été décidé en juin 2018 est contesté sur le fond et la forme. N’y a-t-il vraiment aucune autre option ? Les délais seront-ils tenus ?
VD : L’élaboration du plan de réorganisation a fait l’objet de nombreuses auditions (organisations syndicales, collectif, représentants des usagers, communauté médicale, cadres de santé, SDIS, experts nationaux, élus, préfet). Nous avons évidemment conservé tous les échanges de courriers et les propositions par écrit qui nous ont été faites. Nous avons à plusieurs reprises rencontré les instances en les regroupant afin de croiser leurs propositions. Trois options leur ont été présentées ainsi qu’au niveau national. Le choix a été arrêté ensuite au niveau des ministères sur la base de la meilleure solution en termes de continuité des prises en charge, en particulier dans le champ des soins critiques, et des délais de stabilisation de la situation. La principale motivation pour les choix qui ont été faits est la sécurisation du parcours du patient. C’est vrai que les conditions transitoires pour le personnel sont complexes mais nous faisons en sorte d’améliorer en permanence les choses avec des travaux. L’ARS n’a pas été le décisionnaire dans le choix du plan mais le coordonnateur des évaluations des différentes options. Les modalités de mise en œuvre font ensuite régulièrement l’objet de présentations devant les instances du CHU par le directeur général.
LPS : Le premier janvier dernier, vous avez validé la création du groupement hospitalier de territoire de la Guadeloupe et dissout le GHT du sud Basse-Terre au profit de ce GHT unique. Est-ce que c’est un recentrage autour du CHU de l’offre de soins du territoire ? Ne mise-t-on pas trop sur le CHU ? Les effets en matière de projets médicaux partagés ne se font pas encore sentir. Qu’en est-il ?
VD : Le groupement hospitalier de territoire (GHT) n’est pas centré sur le CHU. Celui-ci est l’établissement support ce qui signifie qu’il utilise ses ressources humaines administratives en soutien des autres établissements plus petits. Dans tous les cas, chaque GHT doit règlementairement contenir un CHU ou y être associé. Ce n’était pas le cas de celui du Sud Basse-Terre. Il fallait donc corriger cela. C’était l’occasion de rassembler tous les établissements publics (et les privés qui souhaitent s’y associer) du territoire autour d’un projet fédérateur. L’EPSM, qui a une dérogation jusqu’en 2021 pour rester encore en dehors d’un GHT, vient cependant de signer une convention d’association afin de participer à tous les travaux. Cela va nous permettre de réaffirmer la place de chacun. Je leur ai donné jusqu’au 1er janvier 2021 pour élaborer leur projet médical partagé. Actuellement les filières sont en cours de construction et certaines sont bien avancées comme la gériatrie, la cardiologie ou le vasculaire par exemple. Le projet territorial de santé mentale sera, pour ce qui le concerne, présenté fin 2019.
LPS : La situation actuelle, comme les autres risques majeurs qui nous menacent, n’imposent-elles pas de rechercher plus de solutions du côté des établissements publics de la Basse-Terre (par exemple avec le maintien de sa maternité de niveau 3) ?
VD : Le rôle du CHBT est très important et sera renforcé, notamment sur le champ de la gériatrie et des pôles de références comme le traitement des troubles du rythme ou la chirurgie bariatrique par exemple. Quant à la maternité, elle sera maintenue au CHBT et sera organisée dans le cadre du GHT et de la filière parents-enfants. Dès lors, il faut sortir de la notion de niveau puisqu’il s’agit d’une équipe de territoire qui organisera la prise en charge des futures mamans et de leurs bébés selon des parcours sécurisés et cohérents entre les différentes maternités du GHT ou associées.
LPS : Nous avons eu dans nos colonnes plusieurs contributions tant celles de l’ex leader de l’UTS Fernand Curier par le passé, des docteurs Attallah et Eynaud, qui ont toujours insisté sur la nécessité de penser globalement nos organisations, et de solutionner les problèmes structurels de l’ensemble des hôpitaux : insuffisance des tarifs et de l’activité, pénurie de médecins, une faculté de médecine de plein exercice, etc…Partagez-vous leur analyse ? Soutenez-vous leurs propositions ?
VD : Je partage l’idée qu’il est nécessaire, voire indispensable, de mettre en place des organisations efficaces dans nos hôpitaux et en corriger tous les travers constatés afin de garantir les meilleurs niveaux de prise en charge et de fonctionnement. Au-delà des aspects financiers, comme la tarification ou les aides en trésorerie, il faut que nous soyons solidaires et responsables pour corriger ensemble tous les dysfonctionnements identifiés par plusieurs experts. La nouvelle Loi « Ma Santé 2022 » nous donne de nouveaux outils pour améliorer toutes ces questions et nous allons nous en servir pour mieux répartir l’activité entre les hôpitaux, pour faire de certains d’entre eux des Hôpitaux de Proximité dont une part du financement sera une dotation, ou encore pour attirer et fidéliser les médecins. C’est notre travail des deux/trois prochaines années, notamment avec les fédérations ou encore avec les organisations syndicales qui souhaiteront avancer de manière constructive.
LPS : S’il parait justifié que les problèmes du CHU soient au premier plan, n’a-t-on pas tendance à sous-estimer les difficultés des autres établissements ?
VD : Le CHU est un opérateur important de notre système de santé et le plateau technique majeur des soins critiques mais il ne peut pas fonctionner seul. Je suis donc très attentive aux autres établissements. Ceci étant, en dépit de certaines difficultés, la plupart des autres établissements conserve une capacité d’investissement correcte et certains sont même quasiment à l’équilibre. Actuellement nous travaillons au positionnement de chacun dans le territoire à travers le GHT ou la labellisation à venir en tant qu’Hôpital de Proximité. Je n’oublie pas non plus les cliniques privées qui jouent un rôle important sur notre territoire au quotidien comme lors des situations difficiles. Je voudrais aussi ajouter que les hôpitaux tiennent beaucoup de place dans les débats, ce qui qui se comprend car ce sont des lieux de soins vitaux, mais il ne faut pas oublier que les soins de ville ont une part très importante à jouer ainsi que le champ de la prévention qui compte pour 40% de l’espérance de vie des individus. La santé est un vaste champ dont il faut travailler tous les maillons de la chaine pour être efficaces.
LPS : Comme nous l’avons toujours dit, on ne badine pas dans une République avec la santé et l’éducation. La manière dont une société traite les plus vulnérables montre son degré d’humanisme et de civilisation. C’est dire notre défiance vis-à-vis d’une gestion comptable de la santé vue de certains ministères. Le directeur du CHU, Gérard Cotellon, est en première ligne, ainsi que la Présidente du Conseil départemental, vous semblez depuis quelque temps plus en retrait. Est-ce une stratégie de l’Etat ?
VD : Effectivement, la santé est un bien essentiel pour toute personne et l’Etat met les moyens nécessaires pour cela. Il faut cependant lutter contre le gaspillage car les ressources ne sont pas illimitées et il ne faut pas instrumentaliser la santé à d’autres fins. Imaginez tout ce que nous aurions pu faire avec tous les millions injectés ces dernières années juste en subventions générées pour partie par des dysfonctionnements.
Lors de la crise aigüe d’ampleur provoquée par l’incendie, l’Etat a joué son rôle en prenant le pilotage de la situation. C’est pour cela que l’ARS était en première ligne, tout en étant accompagnée d’experts nationaux, l’année dernière. Actuellement, la situation est différente. Nous sommes dans la phase de transition où le CHU a retrouvé son autonomie de gestion, même si l’ARS reste en appui. Le directeur général du CHU a donc la main pour mettre en œuvre la mission qui lui a été confiée, ainsi que son Conseil de surveillance, pour conduire les affaires du CHU. L’Etat est là en soutien.
LPS : A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Ne pensez-vous pas que la prise en compte efficace de l’ensemble des difficultés de la santé en Guadeloupe nécessite une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs. Estimez-vous avoir un soutien suffisant des autorités de l’Etat, des élus et notamment du Président de la Région, et surtout de la population ?
VD : Les mesures exceptionnelles sont bien présentes puisque nous avons un plan spécifique dédié au CHU et l’allocation de ressources exceptionnelles par l’Etat pour faire face à la situation. Par ailleurs, chacun joue son rôle et je sais que tous veulent la même chose : l’efficacité et la modernisation de notre système de santé. Lorsque je discute avec des personnes dans la rue, elles me disent toutes qu’elles veulent que le champ de la santé soit serein dans l’avenir.
Jocelyn DURIZOT
Doyen des rédacteurs en chef.